AT 1 : de déchet à produit, un itinéraire à simplifier pour une économie plus circulaire

Les enjeux de la sortie du statut de déchet sont stratégiques : comment concilier les risques associés à la gestion des déchets avec les opportunités que peuvent offrir leur transformation ? L’économie circulaire est une priorité, mais la législation actuelle freine sa mise en place et des assouplissements doivent être apportés tout en observant la plus grande vigilance sur les conséquences. Compte rendu de l’atelier 1 des Assises des déchets 2024.

Le cadre de la sortie du statut de déchet (SSD) est délimité par une procédure spécifique définie au niveau européen. Il est ainsi nécessaire d’avoir des garanties en termes de sécurité et de qualité, ainsi qu’un repreneur avec un usage qualifié. Ces contraintes fortes désavantagent les sous-produits issus de déchets par rapport aux matières vierges. Un paradoxe à une époque où la priorité est donnée au réemploi et à l’économie circulaire.

Pour alléger ces obligations, il faut un décret ministériel, donc la procédure est assez lourde”, reconnaît Corinne Belvèze, cheffe du bureau de la planification et de la gestion des déchets au ministère de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques (MTEECPR). “De nouvelles manières de faire sont à l’étude pour accélérer la transition, mais cela nécessite une évolution profonde de l’approche du déchet : il faut adopter un angle complètement différent de ce qui a été fait historiquement, et cela pose de vraies questions.

SNCF : de nombreuses réussites en économie circulaire

Nous avons décidé de prendre le sujet à bras le corps, et de mieux valoriser notre capital matière constitué par les déchets que nous produisons nous-mêmes et ceux générés par des tiers, à savoir les commerces présents en gare et les passagers”, introduit Anne Guerrero, directrice de la délégation à la transition écologique chez la SNCF.

Nous avons le devoir d’aller vite, mais des freins réglementaires nous limitent dans le développement de l’économie circulaire, et nous sommes souvent dans une situation de fragilité juridique”, regrette-t-elle. Elle détaille cependant de nombreux exemples : 

  • Écoconception de matériel : un effort spécifique a été demandé à Alstom, et 98% de la masse du nouveau TGV M est recyclable.
  • Allongement de la durée de vie : des trains Intercité de nuit destinés au démantèlement ont été rénovés et cela a permis de leur donner 10 à 12 ans de vie en plus, tandis que des rames d’autres trains sont devenues des magasins de pièces détachées.
  • Réemploi : le ballast utilisé par SNCF réseau est désormais réutilisé au lieu d’être revendu, grâce à des études poussées d’ingénierie ainsi que la création de deux carrières artificielles pour le stockage et d’usines mobiles. Par ailleurs, la SNCF a mis en place une plateforme d’échanges entre établissements qui compte désormais 40 000 utilisateurs et a commencé à s’ouvrir à l’externe.
  • Recyclage : un travail a été mené avec les aciéries pour réincorporer les anciens rails dans les nouveaux, permettant d’obtenir une boucle complètement fermée et de sécuriser l’approvisionnement en matière première. Un projet a également été lancé pour recycler les fibres textiles des vêtements professionnels et une filière a été créée en collaboration avec d’autres industriels.

Michelin : des expériences de SSD à l’échelle européenne

L’ambition de Michelin est de parvenir à 100% de matériaux issus du recyclage ou de matières premières renouvelables d’ici 2050”, souligne Roger Ebengou, directeur Europe réglementations environnement et économie circulaire chez Michelin. 

Dans cette optique, le groupe français a racheté Lehigh Technologies, une entreprise américaine spécialisée dans le recyclage des pneus, en 2017. Michelin est également entré au capital de la startup française Carbios et, en 2020, a acheté 20% des parts de l’entreprise suédoise Enviro qui a mis au point un procédé pour récupérer le noir de carbone.

Dans un premier temps, nous paierons plus cher les matières issues du recyclage, mais il est nécessaire de prendre en compte la profitabilité qui est importante pour la pérennité de cette démarche. La SSD représente en ce sens un enjeu central. Nous sommes conscients que le cadre réglementaire est justifié étant donné les risques environnementaux et sanitaires, mais il nous semble qu’il manque une pierre à l’édifice : les critères doivent être harmonisés au niveau européen afin de permettre les transferts transfrontaliers.

Roger Ebengou prend l’exemple du caoutchouc fabriqué en Pologne et destiné à des centres de production situés en Italie, en Espagne ou encore au Royaume-Uni. “Nous avons dû payer une étude pour pouvoir transporter ces matières à l’intérieur de l’Europe, en nous alignant sur la directive la plus exigeante pour pouvoir aller dans tous les pays. Michelin peut se permettre un tel investissement, mais c’est quasiment impossible pour une PME”.

Séché Environnement : “oui à la simplification, non à la dérégulation

Benjamin Denis, responsable des affaires publiques chez Séché Environnement, est intervenu pour représenter le point de vue des spécialistes du traitement des déchets. Il a alerté sur les risques potentiels des sorties du statut de déchet et a recommandé d’adopter une approche différenciée en fonction de la typologie des déchets et de leur dangerosité. 

L’appréciation du déchet doit être faite au cas par cas, et s’appuyer sur un cadre réglementaire exigeant est très important. La simplification de la SSD est une bonne chose, mais il est aussi essentiel d’avoir des contrôles sur la mise en œuvre pour s’assurer que les conditions définies soient bien respectées. Aujourd’hui, les services de l’État peuvent malheureusement manquer de moyens pour le faire et la dérégulation peut entraîner des risques majeurs pour la santé et l’environnement.

Séché Environnement mène cependant des SSD, et de plus à partir de déchets dangereux. L’entreprise a par exemple développé une solution unique au monde qui permet de séparer le brome contenu dans des déchets et d’en récupérer jusqu’à 99%. “Il s’agit d’un produit dont la production nécessite énormément d’eau et qui n’est possible que dans quelques pays. Notre solution de récupération utilise trois fois moins d’eau et réduit les émissions de CO2 de 20% par rapport à la production de brome vierge, tout en améliorant la souveraineté de la France”, explique Benjamin Denis.

Un travail similaire est effectué avec des solvants industriels qui sont distillés pour séparer les composants et pouvoir remettre sur le marché des solvants régénérés. En moyenne, ceux-ci occasionnent 80% de gaz à effet de serre en moins que la production de solvants vierges.

Un début d’assouplissement avec la loi Industrie verte

En réponse à une question de l’auditoire, Corinne Belvèze, cheffe du bureau de la planification et de la gestion des déchets au MTEECPR, détaille les évolutions permises par la loi Industrie verte.

Depuis octobre 2023, la SSD est facilitée sur des installations de production, sans arrêté ministériel ni vérification préalable de l’État et sous la responsabilité de l’exploitant. Il faut cependant respecter 4 conditions : la finalité doit être spécifique avec un usage identifié, il doit y avoir un marché, les règles concernant les produits doivent être respectées en sortie, et il ne doit pas y avoir d’impact nocif sur la santé et l’environnement. Une autre mesure s’applique à cinq plateformes industrielles qui peuvent appliquer les notions de sous-produits à quelques déchets correspondants à des cas particuliers.

La représentante du ministère a enfin reconnu les limites lors du franchissement de frontières à cause des applications qui diffèrent selon les états membres… et parfois même à l’intérieur des états ! “Il y a assurément un effort à mener au niveau européen, mais il semble que la Commission européenne soit en train de se mobiliser sur le sujet et nous nous attendons à des évolutions positives prochainement.