AT 4 : L’économie circulaire en prospective

La consommation excessive de matières premières et l’impact environnemental de la gestion des déchets font l’objet d’études à l’échelle nationale comme internationale. Le dernier atelier des Assises des déchets 2024, intitulé « Empreintes et déchets », a pris la forme d’une discussion entre un expert de l’Ademe et un de l’OCDE

La consommation de matières premières a bondi de manière alarmante ces dernières décennies, passant de 30 milliards de tonnes dans les années soixante-dix à plus de 106 milliards aujourd’hui. 

« Le chemin vers la neutralité carbone d’ici 2050 impose une action rapide et concertée”, estime Raphaël Guastavi, directeur adjoint à l’économie circulaire chez l’Ademe. « Nous avons publié une étude avec quatre scénarios de décarbonation, et même avec des efforts considérables, certains objectifs climatiques restent difficiles à atteindre.« 

En effet, cette étude prospective montre que, dans le scénario le plus sobre, chaque Français pourrait réduire son empreinte carbone à 14 tonnes par an d’ici 2050, contre 19,5 tonnes dans un scénario plus technophile. Cependant, pour rester sous la barre des 2°C de réchauffement climatique, il faudrait atteindre un maximum de 10 tonnes. Un objectif qui semble difficile à atteindre.

Une croissance devenue insoutenable

Peter Börkey est responsable de l’économie circulaire à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) qui regroupe 38 pays parmi les plus avancés dans le monde. Il révèle les conclusions d’études de l’OCDE sur la consommation de matières dans le monde qui confirment l’analyse de l’Ademe.

Nous avons fait un état des lieux, puis des projections à l’horizon 2060. La consommation de matières a été multiplié par 7 depuis 1950, et elle devrait encore doubler d’ici 2060 avec l’évolution démographique et économique. C’est très inquiétant, car les impacts environnementaux sont quasiment proportionnels : les émissions de gaz à effet de serre devraient doubler, représentant 50 gigatonnes à l’horizon 2060. Environ 12% seront liées à la production de béton, et 10% à la production des sept métaux les plus utilisés. Ce n’est pas soutenable, nous allons droit dans le mur.

Transition écologique : un paradoxe sociétal

Raphaël Guastavi présente d’autres études aux résultats surprenants. D’abord une de Vinci autoroutes publiée l’été dernier qui montre qu’il reste beaucoup de travail. En effet, 1 Français sur 4 jette ses déchets par la fenêtre de la voiture sur la route des vacances, et ce chiffre monte même à 40 % chez les moins de 35 ans !

Par ailleurs, le dernier baromètre GreenFlex de l’Ademe révèle que 55% des Français privilégient l’achat de seconde main, mais que 60% le font pour des raisons économiques. Il met aussi en exergue une “forme de schizophrénie” : deux tiers des Français considèrent qu’il faut produire moins et 73% qu’il faut consommer moins… mais seulement 28% se sentent concernés par cette consommation excessive.

Agir sur l’ensemble du cycle de vie

Le recyclage est une bonne chose, mais ce n’est pas suffisant”, souligne Peter Börkey. “Nous venons de publier un rapport produit en partie pour aider les négociateurs d’un traité mondial sur les pollutions plastiques. Nous avons élaboré deux scénarios contrastés : un premier très ambitieux sur toutes les phases de vie des plastiques, avec une réduction de la production et de la demande, puis une augmentation du recyclage et de la valorisation en aval, et un autre avec uniquement une intervention en bout de chaîne.

Les conclusions sont édifiantes. “L’étude démontre que la seconde option n’est pas suffisante, car beaucoup de pays ne peuvent pas développer leurs infrastructures de traitement au même rythme que l’augmentation de matière. De plus, agir sur la totalité du cycle de vie permet d’obtenir des coûts macroéconomiques 30% inférieurs.

Des mécanismes incitatifs pour favoriser la sobriété

Les deux experts concordent sur l’importance des politiques publiques pour faire évoluer le comportement des consommateurs, et notamment les plus précaires. “Il faut que la transition vers plus de frugalité soit juste et accessible pour tous, à travers des systèmes de redistribution économique tels qu’une fiscalité du type TVA circulaire ou l’utilisation de chèques verts. Nous avons par exemple lancé une expérimentation à Angers : 200 ménages ont été équipés d’une carte bancaire verte leur permettant d’obtenir des réductions pour leurs achats dans des enseignes responsables”, indique Raphaël Guastavi.

Peter Börkey, quant à lui, plaide pour des réformes fiscales axées sur la taxation des matières premières vierges et des subventions pour les matières recyclées. Il insiste aussi sur le besoin d’éducation des consommateurs.

Un participant demande alors quel impact concret les travaux de l’Ademe et de l’OCDE ont sur l’orientation des politiques publiques. “Le concept de la REP a été conceptualisé par l’OCDE pour les décideurs politiques il y a 30 ans environ, et il est désormais utilisé un peu partout dans le monde. Nous sommes aussi à l’origine du principe pollueur/payeur”, affirme Peter Börkey. “En France, des mesures ont également été mises en œuvre suite à nos travaux”, ajoute Raphaël Guastavi. “Par exemple pour la feuille de route économie circulaire, avec la création d’indices de réparabilité qui étaient une première mondiale, ou avec les bilans d’émissions de gaz à effet de serre.

Les raisons d’y croire encore

Malgré ces constats inquiétants, Raphaël Guastavi et Peter Börkey délivrent tous deux un message d’espoir. « Il est très facile d’être cynique sur les politiques environnementales, car elles s’inscrivent dans une temporalité longue qui n’est pas adaptée au débat politique, mais beaucoup de celles menées sur les 30 dernières années ont montré leur efficacité, que ce soit pour l’amélioration de la qualité de l’air ou la réduction des déchets”, lance Peter Börkey. “Avec l’évolution de nos connaissances, nous avons découvert plein d’autres problématiques sur lesquelles il faut agir, comme les PFAS* p.ex, mais quand on s’y met, on y arrive !”.

Le représentant de l’OCDE constate de plus une vraie prise de conscience sur les enjeux environnementaux, et des pays qui étaient plus frileux, comme les Etats Unis, ont évolué favorablement au cours des dernières années. “Nous avons même vu la création d’une Coalition de la haute ambition qui regroupe environ 60 pays, dont la totalité des pays européens, mais aussi des pays africains et d’Amérique du Sud.”

« Nous avons encore du chemin à parcourir, mais avec une volonté collective et des outils innovants, nous pouvons atteindre nos objectifs de neutralité carbone d’ici 2050« , conclut Raphaël Guastavi.

* Les substances per- et polyfluoroalkylées, également appelées polluants éternels