Stratégie « plastiques » de l’Europe : vers un levier structurant de prévention

Annoncée en début d’année 2018, la stratégie plastiques de l’Union européenne aura un impact durable sur la production et la consommation de ces matériaux. Si l’interdiction des produits à usage unique a marqué les esprits, c’est bien un dispositif global et structurant qui doit s’installer, pour changer en profondeur l’univers des plastiques. Michel Sponar, représentant de la DG Environnement au sein de la Commission Européenne, trace les contours de la nouvelle réglementation européenne qu’il détaillera lors des Assises des Déchets.

 

Quelles perspectives ouvre la stratégie plastique de l’Union européenne ?

Michel Sponar* : Cette première stratégie européenne sur les matières plastiques a pour objectif  de protéger l’environnement de la pollution par les plastiques, tout en favorisant la croissance et l’innovation. Elle couvre en effet l’ensemble de la problématique des plastiques et s’inscrit au final dans le cadre de la transition vers une économie plus circulaire. Les plastiques représentent un défi majeur qu’il faut relever : ils sont aujourd’hui essentiels pour de nombreuses entreprises, mais on ne peut plus supporter de les retrouver s’accumulant dans les écosystèmes et singulièrement dans les océans. Ce texte veut donc enclencher une dynamique de fond qui changera la manière dont  ces produits sont conçus, fabriqués, utilisés et recyclés, et créera en même temps de nouvelles perspectives d’investissement.

 

Quelles principales mesures retenir ?

Michel Sponar : C’est un ensemble complet et articulé de mesures complémentaires, réalistes et pragmatiques tout autant qu’ambitieuses, qu’il faut avoir en tête. Il faut en résumé retenir qu’en Europe tous les emballages en plastique seront recyclables d’ici à 2030 et que la consommation de plastiques à usage unique sera réduite. Cette réglementation révèle une vraie prise de conscience. Notamment celle de l’impact des microplastiques ajoutés de manière intentionnelle dans les produits que nous voulons interdire (cosmétiques, détergents…). Mais également des microplastiques qui se disséminent dans l’environnement de manière non intentionnelle (textiles, process industriels, usure des pneus…) pour s’accumuler dans la chaîne alimentaire et les écosystèmes.Nous voulons réduire ces émissions.

« Un ensemble articulé de mesures complémentaires et pragmatiques tout autant qu’ambitieuses : recyclabilité de tous les emballages en plastique d’ici 2030, réduction forte des produits à usage unique… »

 

Les produits à usage unique sont particulièrement ciblés…

Michel Sponar : Évidemment, tout simplement parce qu’ils comptent pour 70 % des déchets que l’on retrouve sur les plages européennes. La stratégie plastique,  la directive-cadre marine et la directive sur les produits en plastique à usage unique qui sera votée dans les semaines à venir, imposent des mesures fortes, sans doute les plus avancées. Quand une alternative existe sur le marché, c’est radical, l’interdiction sera totale (pailles, verres, assiettes et couverts, cotons-tiges…) et touchera donc immédiatement l’ensemble des consommateurs européens. Tout aussi radicalement, on interdit le polystyrène dans les emballages, impossible à recycler, ainsi que les nouveaux plastiques, dits « oxo-plastiques » ou « oxo-dégradables », qui soit disant se dégradent mais qui en fait disparaissent à l’oeil nu et deviennent des millions de particules et se disséminent dans l’environnement.

Certains de ces produits à usage unique restent cependant tolérés ?

Michel Sponar : Oui, quand il n’y a pas assez d’information ou d’alternative crédible, les États-Membres vont devoir fixer des objectifs de réduction, avec des résultats évalués à 5 ans. Il s’agit ici de filières en fort développement sur lesquelles il faut trouver comment agir, et ce n’est pas aisé dans certains de nos pays, notamment dans les modes de vie très urbains, avec les emballages de nourriture prête à consommer par exemple. Mais le monitoring qui est imposé, avec l’évaluation à terme de l’atteinte des objectifs fixés, devrait entraîner la réduction de la consommation.

 

Plus génériquement, l’objectif est de développer le recyclage ?

Michel Sponar : Quand existent des filières de recyclage, on hausse les objectifs qui deviennent très élevés, de l’ordre de 90 %, principalement pour les bouteilles en plastique. Soit les États-Membres ont des filières de recyclage qu’ils sont invités à rendre toujours plus efficaces, soit ils mettent en place des incitations économiques au retour des bouteilles dans des filières de recyclage. La Commission a considéré qu’il ne servait à rien d’interdire, ni de croire qu’on pouvait imposer la réduction de la consommation, mais qu’au contraire on pouvait largement améliorer la collecte et le recyclage. Avec au passage l’augmentation de la recyclabilité des bouchons (dorénavant attachés à la bouteille).

 

« Parfois radicale, et inventive quand elle élargit le concept de REP aux produits plastiques, cette nouvelle stratégie impulse une trajectoire positive »

 

Mais quand le recyclage n’existe pas ?

Michel Sponar : Quand il n’y a pas de substitut et pas de filière recyclage, nous incitons à plus de recherche et, c’est également révolutionnaire, nous imposons le concept de responsabilité élargie des producteurs. Cette extension de la REP, notamment à tous les déchets jetés dans la rue, est un événement. Qu’on pense aux mégots de cigarettes – la 1ère catégorie de déchets trouvés sur les plages ! -, aux lingettes ou encore aux produits d’hygiène : il sera très fort d’imposer aux producteurs de mettre la main à la poche pour participer à la mise en place de systèmes de collecte et de campagnes de sensibilisation et de marquage sur ces produits.

 

Est-ce que ces mesures suffiront ?

Michel Sponar : On peut être optimiste. Nous avons l’expérience positive des sacs en plastique ou encore celle du concept de REP qui entraîne beaucoup de dialogue entre les autorités et les acteurs économiques, et développe la co-responsabilisation. Le texte est fort, impulse des changements de fond avec certes pragmatisme mais aussi ambition : c’est notre challenge commun de le faire fonctionner. On peut donc croire à une trajectoire dans laquelle tous les plastiques d’emballage seront bientôt recyclés, tout en affirmant des technologies que les acteurs économiques européens sauront s’exporter partout dans le monde.

 

Que répondre à ceux qui ont une vision plutôt critique de cette stratégie européenne ?

Michel Sponar : Qu’il faut savoir être nuancé. Certes, nous ne croyons qu’à la disparition progressive des plastiques non recyclables. Mais en améliorant la collecte et le recyclage, nous croyons qu’ils deviendront des « plastiques circulaires » qui poseront moins de difficultés et qu’on ne les retrouvera plus dans les rues et les écosystèmes. En Europe, nous disposons d’une infrastructure légale très efficace : la stratégie plastique, la directive-cadre sur l’environnement marin, la législation déchets où la dernière révision de la directive-cadre ajoute des objectifs élevés pour la réduction des rejets en mer, sans oublier les règlements REACH… Il faut être conscient que l’Union européenne joue un rôle majeur, avec valeur de référence, à l’échelle planétaire. Nous sommes très actifs au G7, au G20 ou aux Nations Unies, et tous nos choix – l’interdiction des oxoplastiques, l’offensive sur les produits à usage unique ou encore les microplastiques… – touchent à la fois directement notre ensemble géographique et marquent les esprits bien au-delà de l’Europe.

* Michel Sponar est responsable-adjoint de l’unité Environnement marin et industrie de l’eau au sein de la DG Environnement de la Commission Européenne.