Atelier 1 : réduire notre dépendance aux plastiques

367 millions de tonnes de plastique sont produits dans le monde chaque année, et les déchets qui en sont issus contaminent les milieux naturels. Alors que tous les acteurs s’accordent sur un constat d’urgence, zoom sur les solutions et les freins au changement.

Les intervenants

Samuel JUST

Samuel JUST, chef du bureau de la prévention des déchets et de la lutte contre le gaspillage au ministère en charge de l’environnement

Thierry Charles

Thierry CHARLES, directeur des affaires publiques & compliance de POLYVIA, syndicat professionnel de la filière plasturgie et composite

David Etienne

David ETIENNE, directeur général de la division plastiques chez PAPREC Recyclage

Raphaël GUASTAVI

Raphaël GUASTAVI, directeur adjoint de l’économie circulaire à l’ADEME

Esther Kalonji

Esther KALONJI, déléguée générale du Syndicat national de la restauration collective, SNRC

Un accord unanime sur les faits et sur les chiffres

En 1950, la production (annuelle) de plastique était de l’ordre de 1,5 million de tonnes. Elle est désormais de l’ordre de 367 millions de tonnes à l’échelle mondiale et l’Union européenne y contribue à peu près pour 15%. 40% de ces plastiques vont être utilisés dans les emballages, 20% dans le secteur de la construction, 10% dans le secteur de l’automobile. Le plastique se trouve partout : 750 pièces automobiles sont en plastique, 30 à 50% des téléphones portables sont composés de plastique …

La France n’est pas en reste face à cette surconsommation mondiale. Aujourd’hui un français tout comme un européen, va consommer en moyenne 70 kg de plastique par an alors qu’un habitant de l’Inde ou de l’Afrique va en consommer 20 fois moins. Dans les 710 millions de tonnes de plastique déjà abandonné dans le milieu naturel et notamment au fond ou dans les océans (environ 10 millions de tonnes par an), la part de plastique provenant de l’Union Européenne est estimée à environ 500 000 tonnes par an soit 5 %.

Les enjeux : rationnaliser les usages, collecter plus pour massifier le gisement, repasser par la phase chimie pour recycler, éviter les microplastiques

L’enjeu est aujourd’hui d’orienter l’action dans les efforts à se passer du plastique là où il n’est pas indispensable. Il est tout autant de collecter davantage pour recycler. Aujourd’hui, (en France) seul un tiers des plastiques collectés sont recyclés et 21% des emballages plastiques sont recyclés, alors que le taux est de 40% dans l’UE. 1kg de bouteilles en plastique nécessite 2 kg de pétrole brut et recycler 1 tonne de plastique permet d’éviter l’émission de 1 à 2 tonnes de CO2.

Aujourd’hui, seuls 30% des plastiques sont collectés. « Il faut développer et promouvoir le geste de tri et notamment hors foyer en le facilitant. Il faut accroître la communication locale et nationale, développer toute mesure telle que la tarification incitative pour permettre d’augmenter les performances de collecte pour recyclage ».

En ce qui concerne les microplastiques, même si un certain nombre de mesures sont d’ores-et-déjà fixées par la France, le problème est communautaire et l’Agence européenne des produits chimiques va faire des propositions de restriction pour certaines catégories de produits. Il s’agit d’un vaste sujet qui englobe les microplastiques intentionnellement ajoutés dans les produits ou fabriqués en plastique et dont l’usage crée des pertes de particules plastiques dans l’environnement (abrasion des pneumatiques, lavage des textiles synthétiques…) et des macrodéchets susceptibles de se déliter en micro-déchets du fait de leur dégradation dans le milieu naturel.

Rationnaliser les usages : interdire les mésusages, organiser les acteurs par décret un cercle vertueux, faire face à des défis pour des secteurs tels que la restauration collective

Les premières interdictions de l’usage de certains plastiques à usage unique (certains sacs plastiques, verres ou gobelets, cotons-tiges) dates de 2015 avec la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte et la loi pour la reconquête de la biodiversité.  Depuis le précédent quinquennat, le cadre réglementaire s’est fortement accéléré avec par exemple, la loi egalim sur les emballages plastiques et la loi anti-gaspillage qui ont fixé la fin de l’utilisation des emballages plastiques à usage unique en 2040, 100% de recyclage du plastique en 2025 ou encore l’interdiction de mettre à disposition des bouteilles en plastique dans les établissements publics et d’exposer des fruits et légumes emballés dans du plastique, l’obligation de servir des repas dans de la vaisselle réemployable dans la restauration.

La Stratégie 3R (réduction, réemploi, recyclage), pilotée par l’Etat, l’Ademe et les opérateurs économiques dont les éco-organismes, joue un rôle d’ensemblier de toutes ces dispositions, une feuille de route devant définir 10 axes et 59 actions. Le décret 3R est une mécanique de prise de rendez-vous tous les 5 ans et qui va définir la trajectoire pour atteindre les objectifs de la loi. Un premier décret pour la période 2021-2025 a été publié en avril 2022 et fixe trois objectifs :

  • Réduire la part des emballages en plastique à usage unique de 20% d’ici 2025
  • Mettre fin aux emballages plastiques à usage unique qui sont inutiles d’ici fin 2025
  • Tendre vers 100% d’emballages plastiques recyclés en 2025

En parallèle de ces objectifs du décret 3R, un début de déclinaison s’est amorcé au travers d’un autre décret qui fixe à 10% la proportion d’emballages réemployables devant être mis sur le marché par les producteurs d’ici 2027.

Le secteur de la restauration et particulièrement collective, est très engagé dans une mutation profonde poussée par des réglementations nombreuses et complexes à mettre en œuvre. La restauration collective en France c’est 10 millions de repas par jour et 4,5 millions de repas dans le giron de la restauration collective. La problématique de substitution de contenants pour le portage à domicile va par exemple porter sur la conservation avec des plats correctement scellés, le transvasement pour être réchauffés si le contenant n’est pas adapté et donc du changement des habitudes des convives, de stockage en attente de la reprise, du lavage, etc.

Collecter et massifier au maximum pour conserver la matière, justifier les outils industriels, qui pourraient privilégier à termes le recyclage chimique

Le plastique ne va pas disparaître du jour au lendemain et le recyclage est la meilleure solution aujourd’hui pour en réduire son impact carbone. Les plasturgistes en sont convaincus bien qu’ils soient toujours les plus stigmatisés sur les sujets de pollutions plastiques. Polyvia, union des transformateurs de polymères, a consigné ses engagements et ses objectifs dans un livre blanc au travers de deux axes : la décarbonation et l’intégration de plus de 2 millions de matériaux plastiques recyclés pour la fabrication de nouveaux produits d’ici 2025. Selon ces industriels, la réglementation est un vrai support au développement du recyclage et le fait de fixer des objectifs est positif « mais recyclable ne veut pas dire pour autant recyclé ». Les plastiques ne sont pas tous collectables et ré-incorporables. Les obligations de réincorporation fixées aujourd’hui, notamment sur la partie flacon avec un objectif de 25% de réincorporation, montrent leur efficacité. L’objectif fixé sur les emballages est de 30% en 2030 et devrait être de 20% sur l’automobile à horizon 2040.  Parallèlement, il faut accompagner la profession en développant la collecte afin d’obtenir un gisement plus conséquent de matières premières. « Si l’on veut incorporer davantage il faut accroître la massification et les REP sont l’une des solutions ».

Les crises successives ont eu un impact fort sur la matière vierge. Le déchet plastique est aujourd’hui une richesse. Du fait du manque d’investissement de la pétrochimie, l’Europe n’est plus autosuffisante depuis très longtemps sur la matière vierge donc la seule solution est de collecter pour avoir une massification de cette richesse via des obligations légales. La réglementation a fixé des échéances courtes pour la réincorporation sans se préoccuper de savoir si on avait suffisamment de sourcing pour assurer cette obligation qui est cependant la seule solution pour l’Europe au vu du coût et de la disponibilité de la matière vierge, à condition que l’ensemble des réglementations soient suffisamment stables et cohérentes pour rassurer l’investissement industriel. « Aujourd’hui, des grands groupes industriels investissent massivement dans le recyclage chimique (dépolymérisation de la matière pour revenir au monomère) parce qu’ils ont le sentiment que c’est la seule solution pour assurer la souveraineté d’approvisionnement de notre industrie ».

L’Europe vient dans le même temps de se positionner pour promouvoir le recyclage chimique pour tout ce qui relève du contact alimentaire. Aujourd’hui, par défaut de collecte, il y a un véritable risque de goulot d’étranglement au niveau du sourcing des matières recyclées. Il va falloir trouver un équilibre sinon une complémentarité entre le recyclage chimique et le recyclage mécanique pour assurer une production suffisante. Le recyclage mécanique a un meilleur bilan que le recyclage chimique mais ce dernier permet d’aller chercher des résines qui ne sont pas recyclées aujourd’hui parce qu’on ne sait pas le faire ou que le coût est trop élevé. C’est le cas par exemple du polystyrène et des films plastiques légers, souillés…. Au travers France 2030, l’Ademe a lancé un appel à projet pour accompagner l’industrialisation du recyclage chimique afin de répondre aux besoins de matières en complément du recyclage mécanique. Il y a cependant à redouter « une forme de guerre pour trouver de la matière recyclée » et le recyclage chimique doit encore faire ses preuves, dans la mesure où les quantités engagées restent aujourd’hui minimes. « Il ne faut (cependant) pas opposer les deux formes de recyclage, c’est une question de séquence et d’empreinte carbone ».

On ne peut pas ne pas évoquer l’apparente contradiction entre la dynamique du 100% recyclage en 2025 et l’interdiction sinon la réduction drastique de la production et de la consommation de plastiques. En effet, à partir du moment où on considère que les plastiques à usage unique doivent disparaître, on peut se demander pourquoi développer une filière du recyclage qui représentent des investissements lourds sur le long terme. Il faut prendre en considération que la fin des plastiques à usage unique ne veut pas dire la fin de tous les plastiques. Encore une fois, les plastiques ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Les plastiques recyclés aujourd’hui ne seront pas les mêmes produits que ceux que nous recyclons massivement aujourd’hui dont la durée de vie est très (trop) courte.

Des substituts éco conçus !

L’éco-conception est un enjeu tout aussi important et sur lequel l’ensemble des acteurs doit agir. Les industriels et metteurs sur le marché savent qu’ils doivent travailler sur le cycle de vie de leurs produits, regarder ce qui est réellement utile et ce qui ne l’est pas. Il leur faut également étudier quelles matières vont pouvoir se substituer au plastique conventionnel, regarder si produire des produits en mono matière facilitera ou non le recyclage, alléger le poids tout en répondant aux mêmes besoins, étudier les matières à moindre impact et les phases d’usages pour avoir des produits plus durables, réemployables. En aval s’assurer de la recyclabilité des produits que l’on met sur le marché.

En ce qui concerne les matières plastiques pour la restauration ou le portage des repas, la maîtrise du risque sanitaire est majeure, certains essais de substitution hasardeux : ainsi le bambou, épinglé par 60 millions de consommateurs et la DGCCRF (en savoir plus) notent qu’aucune étude n’a été menée sur ce matériau, ou encore la substitution de la bouteille d’eau en plastique dans les trains par un contenant cartonné mais pelliculé en plastique qui est un non-sens en matière de recyclabilité. Dans la restauration, la question de la substitution reste donc entière y compris en tenant compte du poids des contenants.

Actuellement, seul le PET est apte au retour au contact alimentaire mais il y a un certain nombre de développements et d’innovations qui sont en cours et qui ouvrent le champ des possibles avec évidemment des temps d’implémentation qui peuvent être assez longs.

Le temps industriel n’est pas le temps politique donc il faut donner du temps pour mettre en place ces changements et surtout ne pas surenchérir. Si on prend l’exemple du vrac qui est plébiscité, il faut rester très attentif à la façon dont il est organisé en amont. Les effets d’annonce ou d’affichage plus particulièrement de la distribution, surfant sur les tendances, peuvent se révéler contreproductives voire des « escroqueries intellectuelles » en délaissant par exemple une fonctionnalité au détriment d’une autre, telle que la garantie sanitaire des emballages.

Pour finir, « la sobriété n’est plus un gros mot ». Aujourd’hui la sobriété est sur le devant de la scène et il ne s’agit pas seulement de la sobriété énergétique mais également de matières, de ressources et cela passe par notre façon de consommer. « Consommer autrement peut amener justement à diminuer notre consommation de matières et par effet direct notre production de déchets. Le consommateur n’est pas toujours obligé d’aller vers la grande distribution pour faire ses achats, il peut se tourner vers des circuits courts, de proximité où effectivement il y aura moins d’emballage. Il peut (et doit ?) se questionner sur ses besoins et ses actes d’achat notamment en ce qui concerne le textile ».